
Un espace pour apprivoiser l’absence
Comment est née l’idée d’une soirée de préparation aux fêtes pour les personnes endeuillées?
ELLEN PAGNAMENTA Les fêtes, particulièrement Noël, ravivent souvent l’absence de manière douloureuse. C’est un moment où les rituels familiaux se répètent d’année en année et, soudain, une personne manque à la table. La première fois sans elle est toujours très difficile. On se rend compte que les repères, les traditions, les rôles même – qui lit le récit de Noël, chez qui l’on se retrouve – doivent être réinventés. Et puis, il y a cette injonction à la joie. Il faudrait être heureux, offrir de beaux cadeaux. Mais quand on est en deuil, cette joie imposée peut devenir une épreuve. Dire à sa famille «cette année, je n’y vais pas» ou «j’ai besoin de quelque chose de différent» est souvent très compliqué.
Concrètement, que proposerez-vous lors de cette soirée?
L’objectif est d’offrir un espace de réflexion et de bienveillance. Nous nous demanderons: de quoi ai-je vraiment besoin cette année? Qu’est-ce que je peux me permettre de vivre ou, au contraire, de laisser de côté? Certains choisissent d’allumer une bougie en mémoire d’un proche; d’autres de maintenir un rituel symbolique ou encore de ne rien organiser du tout et de s’offrir une soirée paisible. L’idée est d’apprendre à s’écouter, à se donner le droit d’être au plus près de soi-même. C’est une façon de reprendre un peu de maîtrise dans un moment où tout semble s’être effondré.
Vous parlez d’un «espace protégé». Qu’est-ce qui permet à quelqu’un d’endeuillé de s’y sentir vraiment en sécurité?
Avant tout, le fait d’être entendu sans jugement. Dans les groupes d’endeuillés, il se passe quelque chose d’essentiel: on découvre que d’autres vivent la même chose, même si les mots diffèrent. Cette reconnaissance mutuelle crée un lien, une forme de solidarité. Nous posons aussi un cadre clair: on ne s’interrompt pas, on ne donne pas de conseils. Chacun a son temps de parole. C’est fondamental: accueillir la parole de l’autre, sans vouloir la réparer. Dans le deuil, les conseils tombent souvent à côté. Ce qui aide, c’est d’être accompagné pendant quelques pas sur son chemin.
Cette soirée vise aussi à identifier les ressources personnelles et spirituelles. Pouvez-vous en donner des exemples?
C’est souvent très touchant. L’année dernière, une famille a raconté qu’elle allait passer chaque Noël en Espagne chez la grand-mère, aujourd’hui décédée. Ils ne savaient pas s’ils devaient y retourner. En parlant, ils ont décidé d’y aller quand même, en emportant une photo et une bougie. Ainsi, lagrand-mère faisait encore partie de la fête, autrement. Ce genre de décision redonne du sens, une continuité. Trouver des ressources, c’est cela: redécouvrir ce qui apaise, ce qui relie. Cela peut être la nature, la prière, un souvenir partagé. Chacun a sa manière de renouer avec la vie, sans trahir l’absence.
Quelle place accordez-vous à la foi dans ce cheminement?
La question spirituelle est toujours présente, même si elle n’est pas toujours formulée ainsi. Le deuil bouleverse les repères: le sens de la vie, les valeurs, parfois même la foi. Pour certaines personnes, la foi devient un appui immense, une source d’espérance. Pour d’autres, elle se fissure ou s’éloigne. Dans les deux cas, la spiritualité reste un espace de questionnement. Elle permet parfois de redécouvrir une paix, une ouverture vers une forme de continuité au-delà de la mort. L’espérance, si centrale dans la foi réformée, peut devenir un soutien concret, presque charnel.

