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©Amira Souilem
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Le père Bashar Fawadleh, prêtre de la paroisse latine du Christ-Rédempteur de Taybeh, dit prier pour tout lemonde, y compris les «ennemis» de son peuple, alors que les violences des colons se multiplient dans son village.
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Face à la colonisation galopante, l’inquiétude des chrétiens de Palestine

Amira Souilem
5 décembre 2025
Reportage
La colonisation s’accélère en Cisjordanie, portée par des colons désormais organisés en milices armées et grisés par l’impunité. Reportage à Taybeh,seul village intégralement chrétien de la zone.

Aussi appelé «Ephraïm» dans le Nouveau Testament, ce village au nord-est de Jérusalem, où Jésus a trouvé refuge avant sa Passion, selon des textes bibliques, vit dans l’appréhension de nouvelles attaques. C’est le seul intégralement chrétien de Cisjordanie. Jusqu’à quand?

Parés d’une élégance tout orientale, les fidèles se pressent, en ce dimanche matin, dans l’église grecque orthodoxe Saint-Georges. Dans ce village de 1500 habitants, tout le monde se connaît. Alors que la localité fait de plus en plus face à des attaques de colons, l’office offre l’occasion de se tenir au courant des dernières nouvelles. Et elles ne sont pas bonnes ces jours-ci. 

Un jeune homme d’une vingtaine d’années a été tué par des colons israéliens cette semaine dans un village voisin. Ses funérailles sont prévues pour ce jour. En signe de deuil, les commerces des localités alentour ont baissé le rideau. Taybeh la chrétienne se joint au mouvement. Ici, on se dit palestinien avant tout. 

Récoltes abandonnées
Une élégante sexagénaire s’improvise guide d’un jour à la sortie du lieu de culte. Depuis les allées luxuriantes du cimetière où elle nous entraîne, un paysage sublime se dévoile. Les collines avoisinantes et le désert de Judée se déploient à perte de vue. Un paysage biblique qu’elle a désormais bien du mal à admirer sans angoisse: «A Gaza, il y a l’armée israélienne. Ici, en Cisjordanie, il y a deux armées: celle des soldats israéliens et celle des colons. On est encerclés. En face, il y a une base militaire israélienne, un peu plus à l’ouest, la colonie de Rimonim et comme si cela ne suffisait pas, depuis quelques mois, un avant-poste a fait son apparition. Certains n’osent plus aller récolter les olives sur leurs terres de peur de ne jamais en revenir.»

Désormais habituée aux descentes de colons à Taybeh, la villageoise, qui préfère taire son nom par crainte de représailles, garde pourtant en travers de la gorge un incident remontant à juillet dernier. Elle poursuit la démonstration déambulatoire dans les vestiges d’une église byzantine du Ve siècle, qui servent de lieu de pèlerinage, de recueillement et parfois même de sacrifice d’animaux pour les fidèles duvillage. Ce lieu sacré a été profané cet été, raconte-t-elle. Des colons ont mis le feu à un terrain tout proche. Les habitants comprennent alors que rien ni personne n’est à l’abri désormais.

Alors que des ministres suprémacistes occupent des postes à responsabilités dans le gouvernement israélien – comme Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, ministre des Finances –, les habitants se sentent dépourvus face aux intimidations grandissantes dont ils font l’objet. Ils savent que le rêve de Grand Israël, de la mer au Jourdain, passe par leurs terres.

Vaches dans l’église
Notre guide improvisée nous présente un jeune homme souriant et affable, le père Bashar. Puis un sourire et un regard fier effleurent son visage: «Il s’est battu avec un colon!» À la fois gêné et amusé par cette confidence, le prêtre de l’église latine précise aussitôt dans un français mélodieusement proche-oriental: «Oui, je me suis battu. Ils étaient là, avec leurs vaches, dans l’église d’Al Kheder. Je me suis énervé.» Son ouaille poursuit: «Vous imaginez le niveau de violence qu’il faut pour faire sortir un prêtre de ses gonds…» La journée n’était pas encore terminée que la nouvelle d’une autre attaque armée de colons dans un village alentour arrivait jusqu’à Taybeh.