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Temple de Malagnou (©EPG)

Écouter le culte

Jean le Baptiste appelle son auditoire à la conversion: bizarre puisqu’il prêche essentiellement à des Juifs convaincus… C’est un peu comme s’il nous disait : oubliez tout ce que vous savez, laissez de côtés vos pratiques; ce n’est qu’à ce prix que vous pourrez découvrir l’inattendu, entendre la Bonne «Nouvelle» de Dieu qui vient à notre rencontre. C’est vrai que depuis 2'000 ans qu’on fête Noël et l’arrivée «du petit Jésus dans la crèche», on s’est peut-être un peu assoupi…

Mais «se convertir», est-ce vraiment pour nous? Quand on parle de «conversion», on imagine forcément une forme de choix radical, de rétrécissement de la pensée, tout ce qu’on ne veut pas… Et si la conversion qu’encourage Jean, c’était tout le contraire, un élargissement de notre horizon, de notre conscience, ce serait vraiment une Bonne Nouvelle.

Prédication

Référence(s)
Esaïe
Chapitre
40
Versets
1
à
5
Matthieu
Chapitre
3
Versets
1
à
11

Dans cette période d’incertitude et d’inquiétude que nous traversons, nous voyons un peu partout, et en premier lieu sur les réseaux sociaux, émerger des figures, qu’elles soient médiatiques, politiques ou religieuses, qui fascinent la foule par leurs propos bien trempés, souvent simplistes, par leur attitude qui se démarque ; ils attirent à eux une foule un peu perdue, en quête de repères. Cela peut apporter du réconfort, une forme de sécurité ; cela peut aussi souvent entrainer des dérives par la fascination qu’exercent ces personnes. Jean-Baptiste, à son époque, était-il de cette trempe-là ? Oui et non !

Oui, car son caractère fort, sa manière de vivre solitaire et ascétique (il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage, il est habillé d’un vêtement de poils de chameaux) renforce la fascination de la foule ; mais non parce que Jean-Baptiste n’attire pas la foule à lui, même si c’est lui qu’elle vient voir. Jean-Baptiste ne fait que préparer le terrain. Il est l’homme de l’attente et de la préparation. Et c’est en ce sens qu’il symbolise à lui seul le temps de l’Avent.

Jean-Baptiste est effectivement un personnage étrange : cousin et contemporain de Jésus, il se met à proclamer dans le désert après une longue période de vie dont on ignore tout. Son influence va très vite être importante et sa relation avec Jésus n’est pas sans une certaine ambiguïté, mais comme lui, il finira martyr !

Au départ, Jean-Baptiste ne cherche pas la publicité puisqu’il se retire au désert, loin de la foule, mais il devient, peut-être malgré lui, une sorte de phénomène que tout le monde veut aller voir et écouter. « toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui » nous dit Matthieu. Cela devait faire du monde et une population forcément mélangée, bigarrée faite de croyants convaincus (des Pharisiens des Sadducéens), de personnes en recherche, de simples curieux, un peu comme notre assemblée de ce matin peut-être. Mais pour tous, indépendamment de leur origine ou de leur parcours de foi, Jean-Baptiste a la même parole « Convertissez-vous ! ». Il insiste plus loin encore : « produisez du fruit qui témoigne de votre conversion », une conversion qu’il encourage avec le baptême qu’il offre dans le Jourdain, une conversion qui doit pleinement s’accomplir dans la reconnaissance de Jésus qui vient et dont il ne fait que préparer le terrain.

Cet appel à la conversion a dû en surprendre plus d’un parmi ses auditeurs qui se considéraient comme des croyants accomplis. Comment pouvaient-ils se convertir eux qui depuis des décennies déjà se comportaient comme des Juifs pratiquants allant au temple et respectant la Loi ? La conversion ne pouvait forcément concerner que les autres ! Et pour nous, nous qui sommes ici ce matin dans ce Temple, nous qui écoutons fidèlement le culte à la radio, comment entendre cet appel à la conversion ? Est-il destiné aux non-croyants ? En quoi peut-il aussi nous concerner ?

La force du message de Jean-Baptiste c’est de rappeler que nous sommes tous et toutes invités, invités encore et toujours à préparer les chemins du Seigneur. Ce qu’il dit aux Pharisiens, c’est à nous qu’il le dit : plus vous êtes croyants, plus vous avez besoin de vous convertir afin de ne pas vous assoupir spirituellement.

Lors d’un partage l’autre jour avec de fidèles paroissiens, alors que je disais que nous devions en communauté davantage devenir confessants pour oser témoigner de notre foi joyeusement auprès des personnes que le Seigneur place sur notre route, certains renâclaient, reconnaissant leur difficulté à parler plus ouvertement de leur relation à Dieu.

Aujourd’hui témoigner ouvertement de sa foi, parler de « conversion » fait souvent un peu peur et est associé à des parcours spirituels assez radicaux. C’est vrai qu’on peut régulièrement lire des articles ou regarder des émissions qui parlent, par exemple, des personnes converties à l’Islam. Se convertir, si cela veut dire changer de religion, n’est jamais anodin. Cela témoigne d’un parcours forcément singulier. On le voit aussi dans les histoires bibliques, si l’on pense à l’apôtre Paul qui se décrit, comme zélé pour le Seigneur qui a été littéralement retourné par sa conversion et qui a gardé ce caractère entier, voire impétueux.

Pendant des siècles dans nos contrées, nous ne parlions finalement que peu de conversion. Pas besoin, nous vivions dans un environnement chrétien. Nous n’avions pas le choix : nous naissions chrétiens et peu d’entre nous ont véritablement choisi leur religion ; il n’y avait qu’à suivre le mouvement. A la rigueur nous parlions de conversion pour ceux et celles qui décidaient de changer de confession : passer du protestantisme au catholicisme ou inversement. Ce qui n’était déjà pas si simple ; cela a pu créer des tensions, voire des blessures dans les familles, car il y avait toujours derrière comme le soupçon d’une trahison.

Aujourd’hui la donne a changé. D’abord parce que les frontières entre les confessions catholiques, protestantes, évangéliques sont heureusement moins infranchissables et qu’il n’est plus nécessaire de renier son appartenance première pour se sentir accueilli dans une nouvelle communauté ou simplement vivre une relation conjugale. Mais la donne a surtout changé parce que nous ne vivons plus dans un environnement qui est d’abord marqué par la foi ou la culture chrétienne.

Nous avons la chance dans notre communauté, ici à la Paroisse Rive gauche, d’accompagner beaucoup de jeunes qui viennent de milieux très différents. La grande majorité d’entre, même s’ils ne se sentent pas forcément croyants, ont toutefois le sentiment d’appartenir à la famille chrétienne au sens large. Ils ne sont pas musulmans, ils ne sont pas Juifs. Leur famille a une histoire d’appartenance souvent complexe mélangée entre protestants, catholiques, et beaucoup d’agnostiques. Le parcours que nous leur proposons est alors non pas à penser comme le moyen de confirmer une appartenance affirmée, l’héritage reçu dans lequel ils baigneraient mais bien plus comme un chemin de découverte de la foi chrétienne, ou pour le dire autrement, avec les mots de Jean-Baptiste : un chemin de conversion proprement dit. Se convertir, c’est littéralement changer de direction, de regard sur le monde, sur Dieu, sur les autres, sur nous-mêmes finalement; c’est ce que nous leur proposons. Comme nous le faisons aussi, notamment à l’occasion de services funèbres quand nous sommes face à une assemblée qui a perdu tout lien avec l’Evangile, en les invitant à changer de regard, de perception des choses. Il faut bien mesurer que nous ne sommes jamais face à une page blanche, un terrain vierge ; chacun, chacune a des représentations, un imaginaire religieux, même les agnostiques. Il ne s’agit pas de dire aux gens ce qu’ils doivent croire, mais de les aider, en changeant leur perspective, à trouver le chemin qui les mènera à découvrir cette délicate présence de Dieu en eux. 

Mais plus largement encore, je crois que toute démarche de foi doit devenir aujourd’hui une démarche de conversion, non pour changer de religion, mais pour changer de regard et découvrir quelque chose qui s’apparente à une forme de nouvelle identité. Un chemin de foi, un chemin de conversion qui nous amène à repenser notre être profond, à découvrir Dieu autrement. Si vous êtes là ce matin pour la première fois, si vous nous écoutez un peu par hasard, peut-être avez-vous de la chance car votre regard sera en fait plus neuf que le nôtre ; nous qui venons au culte régulièrement ; peut-être avons-nous oublié l’urgence de la conversion à laquelle nous invite Jean-Baptiste et cela passe par un travail de « déconstruction ». Jean-Baptiste annonce la radicale nouveauté de Celui dont il prépare la venue. Les schémas de perception du religieux ne peuvent plus s’appliquer. C’est comme si Jean leur disait, c’est comme si Jean nous disait : oubliez tout ce que vous savez, laissez de côté vos pratiques ; ce n’est qu’à ce prix que vous pourrez découvrir l’inattendu, l’inouï de Dieu qui vient à notre rencontre !

C’est vrai qu’après deux mille ans que nous fêtons Noël et l’arrivée du « petit Jésus dans la crèche », nous avons peut-être perdu le caractère extrêmement nouveau et révolutionnaire de cette venue du Fils de Dieu en la personne de l’enfant nouveau-né. C’est vrai aussi que nos institutions d’Eglise se sont au cours des siècles tranquillement installées au point de ronronner, de s’assoupir. Si l’on veut dans la vie de nos Eglises, dans notre société, dans notre vie personnelle voir une forme de renouveau spirituel émerger, alors il y a urgence. Un renouveau spirituel, nous ne pouvons pas le décréter ou claquer des doigts pour qu’il advienne, mais nous pouvons en préparer le terrain à commencer en nous-mêmes en nous convertissant, c’est-à-dire en nous retournant vers le Seigneur dans une posture nouvelle, avec un regard neuf, avec un désir ardent et renouvelé.

Jean-Baptiste cite le prophète Esaïe : il s’agit d’élever les vallées enclavées, d’abaisser collines et montagnes. En fait ce que l’Evangile nous invite à faire, c’est à élargir notre horizon pour voir plus loin, au-delà de ce que nous avons coutume de concevoir ou regarder. 

Souvent quand on parle de conversion on imagine spontanément une forme de rétrécissement ; on voit des personnes entrer dans un moule, accepter une doctrine, renoncer à une forme de liberté. La conversion dont nous parle l’Evangile, c’est tout le contraire : il s’agit d’élargir notre horizon, élargir notre conscience, notre manière de penser et de croire.

Ce n’est du reste pas un hasard si Jean prêche dans le désert et pas dans le temple ou à Jérusalem. C’est là dans cet espace non clos, sans limite, non déterminé par des règles religieuses ou des coutumes que se prépare la venue du Christ, dans des lieux inattendus, par des chemins détournés. Et ce chemin de la rencontre, il va dans les deux sens : Dieu vient à nous, c’est-là le cœur, l’essence même du message de Noël ! Mais nous qui cherchons sa présence, nous devons aussi constamment préparer, entretenir ce chemin, le nettoyer des ronces qui viennent vite l’obstruer si nous n’y prenons garde, le dégager de tout ce qui l’encombre et limite notre horizon. En fait simplement, revenir à l’essentiel, redécouvrir les principes fondamentaux du message de l’Evangile.

Jean-Baptiste annonce que ce Dieu qui vient est un Dieu qui créé des brèches. Comme le public de Jean va apprendre à ses dépens qu’il ne peut pas revendiquer une identité, une tradition, une fidélité à la Loi pour hériter naturellement de cette alliance avec Dieu, de même nous non plus ne pouvons arguer du fait que nous sommes membres de l’Eglise, protestants ou catholiques depuis des générations…

Nous sommes appelés, que nous soyons des habitués du culte ou des nouveaux-venus, à la conversion, c’est-à-dire à rechercher ce face à face foudroyant avec Dieu qui change la vie et élargit notre horizon. Jean le dit : « de ces pierres, Dieu peut susciter des enfants à Abraham… » Le Christ ne vient pas démolir, mais déconstruire, déconstruire nos schémas de pensée, notre manière d’être en lien avec Dieu. Il annule les généalogies et les privilèges. Il efface les identités ou plutôt les étiquettes collées à la naissance qui nous dispensent de partir à la recherche de cette relation féconde, de cette proximité brulante avec Dieu.

Dire que de ces pierres peuvent naître des enfants à Abraham, c’est faire le pari de la foi, celui qui veut croire que le souffle peut animer jusqu’aux matières les plus inertes, jusqu’au fond de notre cœur.

Jean nous le rappelle : Dieu ne cesse de venir à notre rencontre, nous retrouver, là au cœur de notre vie. Et ça c’est vraiment une Bonne Nouvelle ! Dieu n’est jamais statique ou enfermé dans je ne sais quel lieu, tradition ou théologie. Il est toujours en mouvement, car il est le Dieu de la rencontre. Depuis la venue du Christ, nous le savons : tout est donné ; nous n’avons qu’à recevoir ; mais ces instants de grâces où nous pouvons ressentir cette proximité aimante de Dieu sont fugaces. Impossible, comme l’eau qui coule de la source, de retenir entre nos mains cette présence de Dieu ; elle nous traverse, elle nous transforme, c’est un trésor qu’il faut accepter constamment de perdre pour mieux le recevoir à nouveau dans toute sa fraicheur et sa radicalité constamment renouvelée.

Noël est ainsi comme cette piqure de rappel dans l’année que nous ne pouvons jamais nous assoupir ou vivre sur notre acquis, fut-il spirituel. Le face à face avec Dieu auquel nous sommes invités est offert à toutes et à tous, sans privilège, sans droit d’ancienneté. A chacune et à chacun d’ouvrir son cœur, de se préparer pour la rencontre ; à nous de nous convertir, de changer notre regard, d’élargir notre horizon alors des pierres de notre vie pourront naître des torrents de vie.  Et ça c’est vraiment une Bonne Nouvelle.  Amen