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Temple de Lutry

Écouter le culte

Eau vive ou poussière : quel Temple faisons-vous jaillir autour de nous ? Le vrai Temple n’est pas un bâtiment, mais le Christ ressuscité, et en lui chacun de nous. Jésus renverse les tables du Temple pour libérer la grâce et faire jaillir une eau vive. Comme Ézéchiel le prophète, Dieu veut que sa vie déborde de nos vies et transforme ce qui est desséché. Nos temples intérieurs sont souvent cabossés, mais c’est là que Dieu choisit d’habiter et de faire couler l’eau de vie. La question brûlante est simple : quand les gens croisent nos vies, boivent-ils de l’eau vive… ou avalent-ils de la poussière ?

Prédication

Référence(s)
Ezéchiel
Chapitre
47
Versets
1
à
2
Ezéchiel
Chapitre
47
Versets
8
à
12
Jean
Chapitre
2
Versets
13
à
22

Aujourd’hui, tout s’achète : les likes sur les réseaux sociaux, les diplômes sur internet, les amitiés d’apparat, les promesses politiques, la bonne conscience par un don en ligne, la jeunesse à coups de chirurgie, et même le silence, parfois plus cher que la vérité. On ne vend pas encore l’amour éternel sur Amazon… mais ça va bien finir par arriver. Nous avons façonné un monde où tout finit par s’acheter et se vendre. Les gares sont devenues des centres commerciaux, les réseaux sociaux deviennent des supermarchés de nos émotions, les hôpitaux sont gérés comme des entreprises qui doivent être rentables, nos écrans sont saturés de publicités, et même nos données personnelles — nos goûts, nos colères, nos fragilités — se négocient sur les marchés numériques. Nous vivons dans une société où même nos larmes peuvent rapporter de l’argent, si elles passent par un bon algorithme. 

Alors, pourquoi pas Dieu ? Pourquoi pas la foi ? Pourquoi pas l’Église ? Si quelqu’un proposait de vendre Dieu, il y aurait certainement des acheteurs. Beaucoup.

Alors, que Jésus se saisisse d’un fouet ne devrait pas nous surprendre ! De son temps déjà, il ne voyait pas d’un bon œil un certain commerce qui ne respectait pas certaines règles. Et il ne se gênait pas de le faire savoir. Ostensiblement. Bruyamment. Or, ce Jésus fulminant, un fouet à la main, n’en finit pas de nous heurter. On le voudrait toujours doux, et rassurant. On le voudrait à l’image de cet ami qui pose une main sur l’épaule et qui dit : “Ça va aller”. Mais voilà que l’Évangile nous montre un Jésus qui entre dans le Temple, regarde autour de lui, et explose. Pas une petite indignation polie, non : une colère qui renverse les tables, qui chasse les bêtes, qui répand la monnaie par terre. Un geste qui dérange. Une attitude qui choque. Une démonstration qui claque. Et ce geste ne vise pas seulement les marchands du Temple de son époque. Ce geste déborde largement des murs et du temps dans lesquels il s’inscrit. Ce geste est intemporel et ubiquitaire : il pointe toutes les fois où nous transformons la vie spirituelle en marché, la grâce en produit de consommation, la foi en service religieux tarifé. Il y a des choses qui ne se vendent pas. L’amour, le pardon, la vie reçue de Dieu… tout cela est gratuit, ou alors ce n’est plus une Bonne Nouvelle.

Autre époque, autre lieu : Ézéchiel, le prophète, a eu, 600 ans avant Jésus-Christ, cette vision d’un Temple d’où jaillit un torrent. Pas une petite fontaine pour décorer le parvis, mais un torrent qui déborde, qui envahit la vallée, qui transforme la mer Morte en mer vivante, qui fait pousser des arbres fruitiers dont les feuilles ont un pouvoir de guérison. Le Temple, dans cette vision, n’est pas un coffre-fort où l’on enferme Dieu. C’est une source de vie qui se répand partout.

La comparaison avec le Temple du temps de Jésus est implacable: un bâtiment magnifique, certes, mais devenu un marché, une machine à profit, un lieu où la piété est comptabilisée. C’est exactement l’inverse de la vision d’Ézéchiel. Et Jésus ne peut pas s’y résigner. Ça le met hors de lui. Alors il déclare : “Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai.” On croit qu’il parle des pierres de Jérusalem, mais il parle en fait de son corps. Voilà le vrai Temple. Non pas des murs, mais un corps vivant. Non pas un monument sacré, mais une existence livrée. Non pas un lieu réservé, mais un homme donné au monde.Et si nous sommes son Corps, alors le vrai Temple aujourd’hui, ce n’est pas un bâtiment, si beau soit-il. Le vrai Temple, c’est chacune, chacun de nous. Nous sommes le Temple d’aujourd’hui. 

Mais soyons lucides : nous ne sommes pas des cathédrales gothiques impeccables. Nous sommes des temples fissurés. Avec des lézardes de doutes, des vitraux brisés par les épreuves, des murs tachés par les colères ou la fatigue. Nos temples intérieurs ressemblent davantage au marché de Jérusalem : on y trouve beaucoup de bruit, beaucoup de stress, des comptes peut-être bien tenus, mais finalement peu de place pour la gratuité. Ça ne fait pas très envie, mais c’est là que Dieu a choisi d’habiter.

Et parfois, c’est drôle quand on y pense : si nous sommes temples de l’Esprit, alors Dieu a élu domicile dans des corps fatigués, avec du cholestérol, des rhumatismes, et parfois même de la mauvaise foi - au sens théologique et… ordinaire du terme ! Mais c’est bien là que jaillit la source. C’est bien là que Dieu a choisi de faire sa demeure. Seulement voilà : si nous sommes des temples, alors Jésus y entre aussi avec son fouet. Et la question devient personnelle : qu’est-ce qu’il vient renverser en nous ?

  • Peut-être nos certitudes bien tranquilles qui nous empêchent d’être bousculés ?
  • Peut-être nos rancunes accumulées, qui font de nos cœurs des caisses enregistreuses où tout est comptabilisé en mode négatif ?
  • Peut-être nos obsessions de performance et d’efficacité, qui font ressembler nos vies spirituelles à des tableaux Excel ?
  • Peut-être aussi notre obsession du “paraître”, sur les réseaux sociaux ou même dans nos communautés, où l’on veut donner l’image d’un temple impeccable alors qu’à l’intérieur tout n’est que friche ?

Jésus, lui, n’a pas peur de faire le ménage. Mais il ne casse pas pour détruire : il casse pour libérer. Sa colère est une colère qui ouvre, qui dégage, qui débouche les sources. C’est un coup de Kärcher spirituel pour que la vie puisse circuler à nouveau. Alors oui, c’est peut-être violent, mais c’est pour une raison simple: Dieu ne supporte pas que la vie devienne un calcul. Il ne supporte pas qu’on empêche l’eau vive de couler. La vraie question, elle est là : qu’est-ce qui sort de notre temple intérieur ?

Quand quelqu’un nous croise, est-ce qu’il respire un peu mieux ? Est-ce qu’il se sent nourri, consolé, apaisé ? Ou est-ce qu’il repart encore plus lourd, plus sec, plus blessé ? Parce que soyons honnêtes : notre monde est assoiffé.

  • Assoiffé de vérité dans un océan de fake news.
  • Assoiffé de gratuité dans une société où tout se paie.
  • Assoiffé d’espérance dans un climat social et politique saturé de peur et de méfiance.
  • Assoiffé de beauté et de nature dans un monde abîmé par la crise écologique.

Face à cette soif, l’Église n’a pas le droit d’offrir une eau tiède ou polluée. Nous n’avons pas le droit de donner de la poussière quand le monde attend de nous que nous lui offrions une source. Alors nous avons le choix :

  • soit nous restons des temples bien rangés, avec des tables et des comptoirs en ordre, mais où l’eau vive ne coule plus ;
  • soit nous laissons Jésus renverser ce qu’il faut, secouer nos habitudes, et rouvrir en nous la source vive.

Le monde n’attend pas une Église impeccable. Le monde attend une Église torrentielle. Le monde attend de nous que nous débordions de grâce, quitte à nous mouiller un peu les chaussures. Le monde attend de nous que nous soyons des consolateurs et des guérisseurs.  Alors je vous le demande, et je me le demande à moi aussi : quand les gens croisent nos vies, boivent-ils une eau vive… ou avalent-ils de la poussière ?

À chacun d’y répondre. Amen !