«Un chrétien sur trois envisage de quitter Israël»
Face à la hausse des actes anti-chrétiens, de nombreux Israéliens de confession chrétienne pensent à quitter le pays. C’est ce que révèle le second rapport annuel du Rossing Center, ONG engagée dans le dialogue interreligieux basée à Jérusalem. Eclairage avec la chercheuse juive Hana Bendcowsky, directrice du Centre pour les relations judéo-chrétiennes de Jérusalem (JCJCR) – l’un des programmes du Rossing Center.
Selon votre dernier rapport annuel, un chrétien sur trois (36%) envisage de quitter Israël. Ce chiffre vous a-t-il surprise?
Compte tenu de la situation politique actuelle, je m'attendais à ce que le nombre de personnes souhaitant quitter Israël soit bien plus élevé. De nombreux Israéliens juifs y réfléchissent aussi sérieusement. Cependant, les chrétiens ont toujours affiché une plus forte propension à émigrer, d'une part parce qu'ils constituent une minorité au sein d'une minorité (la majorité des chrétiens d'Israël sont des arabes/Palestiniens), et d'autre part en raison de leurs liens étroits avec le monde occidental.
Ce chiffre monte à 48% pour les jeunes de moins de 30 ans. Comment comprendre ce phénomène?
Les moins de 30 ans sont au début de leur carrière professionnelle. Nombre d'entre eux ne sont pas encore mariés, ce qui leur offre une plus grande flexibilité et davantage de possibilités de démarrer une nouvelle vie ailleurs. L’idée de vivre dans un endroit où ils ne sont pas étiquetés comme «arabes» ou «chrétiens», mais simplement considérés comme des citoyens à part entière, est très attrayante pour beaucoup d’entre eux.
Quelle est la proportion de chrétiens en Israël?
Selon le registre de la population israélienne, on compte actuellement 181 000 chrétiens (moins de 2%) officiellement enregistrés en Israël. Parmi eux, 78% sont des chrétiens arabes (environ 141 000 personnes). Cependant, ce chiffre ne reflète pas l’image complète de la population chrétienne en Israël. En tenant compte également d’autres groupes, comme des travailleurs étrangers ou demandeurs d’asile, ce nombre serait probablement plus proche de 400 000 ou plus.
Comment la situation des chrétiens a-t-elle évolué depuis le début de la guerre?
À première vue, comme pour la majorité des Israéliens, leur quotidien ne semble pas directement affecté. Cependant, la société israélienne s’est dans son ensemble largement polarisée et se montre de plus en plus hostile envers quiconque est perçu comme «différent». Les relations judéo-arabes sont marquées par une tension accrue, de la méfiance et une forte diminution des interactions, à l’image de la marginalisation des enseignants arabes dans les écoles juives. Cette discrimination est souvent présentée comme une mesure de sécurité dans le climat post-octobre 2023. Dans ce contexte, les chrétiens arabes sont perçus comme faisant partie intégrante de la société arabe, sans distinction aucune.
Est-ce à dire que ces derniers sont assimilés aux Palestiniens?
La rencontre avec les chrétiens arabes pose un double défi. Parfois, ils sont perçus principalement comme des Palestiniens; parfois, prioritairement comme des chrétiens. Parce que les chrétiens sont associés au monde occidental – auquel la société israélienne aspire –, ils sont parfois perçus comme plus libéraux et plus ouverts que les autres arabes. Certains juifs supposent même que les chrétiens sont moins impliqués dans le conflit israélo-palestinien. Ils sont souvent surpris de découvrir qu'il existe des chrétiens arabes engagés politiquement, dont beaucoup s'identifient pleinement à la société palestinienne. Au contraire, parfois, c’est l’aspect chrétien qui s’avère plus difficile à appréhender pour les juifs.
Pour quelle raison?
Près de huitante ans après la fondation de l'État d'Israël, l'attitude des juifs envers les chrétiens est encore empreinte de suspicion, découlant de profonds désaccords théologiques et d'une longue et douloureuse réalité historique marquée par la persécution et l'hostilité. Les souvenirs douloureux, la Shoah et les traumatismes intergénérationnels façonnent encore aujourd'hui la perception juive. Les juifs arrivés en Israël ont apporté avec eux ce lourd bagage historique.
Cette perception est-elle condamnée à perdurer?
La société israélienne a besoin aujourd'hui d'un processus de construction identitaire: développer une identité juive israélienne solide et confiante. Cela implique de s'éloigner d'une perspective victimaire et de construire une identité forte, stable et authentique. C’est n’est qu’à ce moment que que des relations saines et constructives avec le christianisme et les chrétiens pourront s’enraciner. Or la situation actuelle ne permet pas la poursuite de ce processus de guérison.
Comment cette méfiance se manifeste-t-elle aujourd’hui?
Dans tous les aspects du quotidien, on constate une violence accrue et ces agressions – verbales et physiques – sont banalisées: du comportement des automobilistes sur la route à celui des membres du gouvernement, en passant par celui des forces de l’ordre. Parallèlement, un autre aspect inquiétant est la forte hausse de la criminalité dans la société arabe. Or, tous ces problèmes sont presque totalement négligés par la police et les autorités, et les efforts pour les résoudre sont insuffisants.
Quel rôle jouent les déclarations du gouvernement dans cette montée d’actes antichrétiens?
Depuis le début de la guerre, le gouvernement se désintéresse de la question des attaques contre les chrétiens ou de la protection des minorités en général. Par le passé, Israël était très attentif à la manière dont il était perçu par la communauté internationale et veillait à ne pas nuire à ses relations avec ses partenaires internationaux, notamment en ce qui concerne le traitement des minorités. Ce n’est plus le cas. Aujourd'hui, l'atmosphère générale, façonnée par le gouvernement et relayée par l'opinion publique, est à l'isolationnisme: «Personne ne veillera sur nous, nous devons donc veiller uniquement sur nous-mêmes.»
A votre avis, faut-il s'attendre à un véritable exode des chrétiens?
Étant donné la petite taille de la communauté, même l’émigration d’un petit nombre de jeunes a un impact significatif sur son avenir et celui des chrétiens du pays. De plus, il s'agit d'une communauté au statut socio-économique élevé. Nombre de ses membres occupent des rôles influents (médecins, avocats, ingénieurs de pointe ou universitaires. L’émigration de cette population constituerait une perte substantielle pour la société israélienne dans son ensemble.
