Prévenir, protéger, écouter les enfants

Alain Grosclaude
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Alain Grosclaude

Prévenir, protéger, écouter les enfants

Essoufflement
Deux experts internationaux alertent sur le recul de l’engagement contre les violences faites aux enfants et appellent à renforcer la prévention, à mobiliser la société et à donner la parole aux jeunes.

Pour Philip Jaffé, élu au Comité des droits de l’enfant en 2018, l’un des principaux obstacles réside dans une forme de fatigue collective: «Il existe encore des professionnels engagés, mais l’élan général s’est affaibli. Après un âge d’or des droits de l’enfant, la dynamique est désormais défensive. Les priorités politiques glissent vers l’économie et la sécurité au détriment des enjeux psychosociaux.» Cette démobilisation s’explique aussi par un paradoxe troublant: la résilience de certaines victimes nourrit l’idée qu’il est possible de «survivre» à une enfance maltraitée, ce qui banalise les violences ordinaires. À cela s’ajoute une accoutumance sociale face aux violences extrêmes, surtout dans les zones de conflit: «On tolère davantage l’intolérable, parce que l’impuissance semble devenir la norme», déplore Philip Jaffé.

Prévenir la violence dès le plus jeune âge
Sabine Rakotomalala, qui coordonne des actions de prévention à l’OMS, insiste sur la méconnaissance du coût humain et sociétal des violences infantiles: «Beaucoup ne mesurent pas l’impact durable d’une enfance maltraitée sur la vie adulte: santé, emploi, économie, cohésion sociale. 
Ce manque de compréhension alimente le désintérêt.» Elle identifie trois leviers concrets, validés par la recherche et les programmes internationaux: l’appui à la parentalité, la présence d’adultes formés dans les écoles – infirmières, enseignants capables d’écouter les enfants et de les orienter vers des ressources psychosociales– et la nécessité de renforcer les services sociaux, juridiques et de santé pour intervenir rapidement en cas de maltraitance. Sur ces points, Philip Jaffé complète: «L’intervention précoce est cruciale: même les microviolences du quotidien laissent des traces qui peuvent s’aggraver avec le temps.» Sabine Rakotomalala souligne le rôle de grandes conférences comme celle organisée à Bogota en 2024. L’événement a réuni 120 pays: «Ces espaces de dialogue créent un mouvement mondial. Sans coordination, nous n’atteindrons jamais le ‹ seuil critique › où les gouvernements se sentent obligés d’agir.» Philip Jaffé y voit même un moteur: une «compétition saine» entre États pour devenir pionniers en matière de protection de l’enfance, un levier efficace lorsqu’il est alimenté par l’exemplarité.

Entre valeurs universelles et lenteur pragmatique
La Suisse, souvent perçue comme un acteur engagé pour les droits humains à l’international, avance plus prudemment sur les questions touchant à la sphère privée. Un exemple marquant est l’interdiction du châtiment corporel: la Suisse est devenue le 70e pays seulement à l’adopter, avec une mise en oeuvre prévue en janvier 2026. Pour Sabine Rakotomalala, c’est malgré tout un signe encourageant: la Suisse agit avec rigueur et ce sera un test intéressant pour un pays très décentralisé. Au-delà des lois et des programmes, les deux experts insistent sur l’importance de la participation des jeunes. «Impliquons-les dans la conception des projets scolaires, parentaux, communautaires», plaide Sabine Rakotomalala. Philip Jaffé ajoute la nécessité d’un accès réel à la justice pour les enfants et salue différentes initiatives dites «de prospective» qui permettent à des jeunes d’imaginer le futur et de formuler les contours de la société de demain: «Il faut écouter les jeunes qui réfléchissent au monde dans vingt ou trente ans. Ils apportent des idées créatives.»

A ne pas manquer 
CINÉMA: Les 19 et 20 novembre, la Journée internationale des droits de l’enfant au cinéma dans huit villes romandes. Infos: jintdrenf_cinema

EXPOS:  «Placés. Internés. Oubliés Histoire(s) des mesures de coercition à des fins d’assistance en Suisse» au Musée historique Lausanne du 31 octobre au 15 mars 2026. «Les laissé·es-pour-compte du bonheur. Mesures de coercition à des fins d’assistance, à Berne et en Suisse» au musée d’Histoire de Berne, jusqu’au11 janvier 2026.