
L’aumônerie musulmane pose la question de la théologie
Chaque institution développe une culture de travail, des habitudes, un ethos. Lancé en 2015 par la Confédération en recherche de compétences scientifiques sur l’islam, le CSIS a dû construire son approche en tenant compte de commentaires hargneux, voire islamophobes. «Ces critiques nous ont aidés. Nous avons avancé étape par étape en travaillant avec les acteurs de terrain», explique son directeur, Hansjörg Schmid. Dans le domaine de l’aumônerie, en particulier, des bénévoles étaient actifs, mais aucune réflexion académique ou politique n’existait.
70 aumôniers diplômés
En 2017, le Canton de Zurich sollicite le CSIS. «Les textes indiquent que toute personne à l’hôpital ou en prison a droit à une aumônerie en fonction de sa religion. Il existait des formations pour l’aumônerie chrétienne, mais rien pour l’islam. Le CSIS a été choisi autant pour ses compétences que pour son important réseau», explique Nina Yehia, collaboratrice à la Direction de la justice et de l’intérieur du canton. Le CSIS conçoit alors, sur mandat du Canton, un cursus initial de formation de huit jours pour professionnaliser le domaine de l’aumônerie. C’est sur cette base que s’élabore en 2020 le CAS (Certificate of Advanced Studies – certificat d’études avancées) «Pratiquer l’accompagnement spirituel musulman dans les institutions publiques», qui a formé plus de 70 personnes côté romand et alémanique – dont près de 50% de femmes, parfois jeunes et critiques envers leur propre tradition.
Au fil des ans, la formation se révèle un laboratoire qui fait doucement bouger les lignes. «C’est un lieu qui décloisonne les savoirs, déconstruit les idées reçues, met en lien. Souvent, les formateurs me disent qu’ils ont autant transmis qu’appris des questions des participants. Et la posture de ces derniers évolue: être aumônier musulman a pu être compris comme ‹venir expliquer le bon islam›; aujourd’hui, c’est moins l’islam que le bénéficiaire qui est au centre. Une autre compréhension émerge», témoigne Mallory Schneuwly Purdie, maître-assistante au CSIS.
Place de la théologie
La place de la théologie dans l’aumônerie varie selon les cantons, les secteurs, les établissements. Souvent, elle est mal comprise, voire évacuée au profit d’une spiritualité peu définie. «L’aumônerie suppose d’approcher des personnes en situation de vulnérabilité. La possibilité de prosélytisme est réelle et la crainte est donc légitime de la part des institutions», reconnaît la chercheuse.
Mais le CSIS ne choisit pas pour autant une approche totalement déconfessionnalisée. Sur le terrain, des besoins rituels ou théologiques forts sont parfois formulés: interrogations face à une IVG, un viol ou une fin de vie anticipée… Et il faut y répondre. Le CAS comporte un module sur les fondements théologiques de l’aumônerie, mené dans l’approche dialogique propre au CSIS. Pas «d’offre de prestations dogmatiques […] qui servirait un contenu de foi prêt à intérioriser» pour les futurs aumôniers, mais «une élaboration commune de plusieurs propositions d’interactions […] reposant sur une conception discursive de la théologie qui induit une réflexion sur les bases de la foi», définissait, dès 2022, Esma Isis-Arnautovic, coordinatrice du CSIS dans un projet «Aumônerie et théologie». Une approche qui a convaincu le secrétariat d’Etat aux migrations (SEM): depuis quatre ans, une dizaine d’aumôniers musulmans interviennent dans les centres fédéraux de requérants d’asile, contribuant à « un meilleur accueil, à une intégration et un climat apaisé», souligne le SEM. Une première.
Ecouter le reportage Qui a peur du Centre suisse islam et société de Matthias Wirz dans Hautes Fréquences, dimanche 4 mai 2025.